Ne nous berçons toutefois pas trop d’illusions en ce qui concerne les protagonistes de la mouvance DeFi ! Alfred Eibl, spécialiste des marchés financiers au sein de l’ONG altermondialiste Attac (Allemagne), a corédigé en 2020 un petit livre sur le sujet. Il voit avant tout à l’œuvre dans la DeFi la fameuse « destruction créatrice » de Joseph Schumpeter : de nouvelles idées économiques qui tentent de s’imposer. L’objectif serait d’accaparer la plus grosse part possible du gâteau, « et non des perspectives monétaires qui touchent la société dans sa globalité », selon l’expert d’Attac. Et la décentralisation du système financier de virer à la dystopie, où prévalent les fantasmes libertaires d’un marché totalement dérégulé. Pour M. Eibl, les choses sont claires : « La société humaine ne peut tout simplement pas se passer de banque centrale. » L’histoire de l’argent l’a démontré à maintes reprises depuis l’arrivée du capitalisme : la société a toujours dépendu d’une banque à la responsabilité prédominante, garante de la stabilité monétaire. C’est-à-dire une « productrice de monnaie de dernier recours ». La banque centrale ferait, en quelque sorte, office de réassurance lors d’une crise. Alfred Eibl considère que cette protection doit « répondre aux attentes de la société dans son ensemble, et non à celles du secteur privé ».
D’après le spécialiste, en fin de compte, la question est de savoir dans quelle mesure le secteur financier a besoin de contrôle. Tel est d’ailleurs le sujet des négociations sur l’argent numérique dans le monde entier. « Aux États-Unis, la discussion oppose le capitalisme libre au capitalisme contrôlé », d’où une certaine redistribution des cartes, politiquement parlant. La Chine, quant à elle, a récemment repris la main, établi des règles strictes et interrompu d’ambitieuses initiatives numériques du style d’Alipay. Le contrôle prime. En Suisse comme dans l’UE, de premières initiatives visant à interdire les cryptomonnaies ont fait long feu et l’on envisage désormais de réglementer l’économie financière. Notre pays est assez strict en matière de blanchiment d’argent, bien qu’il subsiste toujours des lacunes.