«Héritage» est un mot que l’on a tendance à chuchoter ou à taire. Soit par mauvaise conscience d’avoir reçu une fortune sans bouger le petit doigt, soit pour ne pas paraître indiscret ou envieuse quand on n’a pas soi-même hérité. Ce malaise tient à une ambivalence indissociable de l’héritage, puisque ce dernier contrevient à l’égalité des chances. Certaines personnes sont mieux loties dès leur naissance et ont de meilleures perspectives sociales et économiques. Voilà qui entre en contradiction avec les principes d’une société libérale et démocratique. Dans les démocraties éclairées, l’héritage ressemble à une relique féodale, à un curieux vestige des siècles passés, quand l’ascendance familiale d’un individu déterminait sa position sociale.
Cet anachronisme – qualifiable d’injuste – se fait toujours plus criant. Le célèbre économiste français Thomas Piketty a montré que le volume économique des héritages devient de plus en plus gros. Un constat qui s’applique aussi à la Suisse: selon une étude récente de Marius Brülhart, de l’Université de Lausanne, les fortunes héritées augmentent rapidement dans notre pays. Elles devraient atteindre quelque 95 milliards de francs en 2020, contre 36 milliards en 1990. Entre-deux, la charge fiscale sur les successions a diminué pour cause de concurrence entre les cantons. Alors qu’en 1999, chaque franc hérité était taxé à hauteur de 4,1 centimes, il l’est de 1,4 centime seulement aujourd’hui. Cette faible contribution aggrave l’iniquité de l’héritage: les revenus du travail sont imposés progressivement, tandis que les successions sont à peine taxées, voire plus du tout dans de nombreux cantons.
Le grand écho médiatique du nouveau livre de Thomas Piketty (Capital et idéologie, Le Seuil, 2019) et de l’étude lausannoise nous dit que le moment est peut-être venu d’amorcer une discussion de fond sur l’héritage, l’égalité des chances et l’impôt sur les successions. Je vous souhaite beaucoup de plaisir à la lecture de ce numéro de moneta, qui met en lumière les différentes facettes – individuelles et sociales – de l’héritage.
Katharina Wehrli, rédactrice en cheffe