En Suisse, la circulation routière a tué 253 personnes en 2015. Cela passe pour un succès, car il y avait sept fois plus de morts en 1970. Toutefois, plutôt qu'avec 1970, faisons une comparaison avec 1896. Cette année-là a eu lieu en Angleterre, pour la première fois au monde, le procès d'un automobiliste qui avait causé la mort d'une personne. «Cela ne doit plus jamais se produire», a clamé le juge à la fin de l'audience. Il a bien dit «plus jamais», et pas «au maximum 250 fois par an». La même année, le Royaume-Uni abrogeait une loi qui limitait la vitesse à quatre kilomètres- heure dans les localités. Le but de cette loi était de mettre la circulation à l'abri des véhicules à moteur. Par «circulation», on entendait les piétonnes et piétons. Aujourd'hui, on appelle «sans circulation» les centres villes sans voitures, alors que souvent, ces zones sont justement très vivantes. Les routes – et avec elles une grande partie de l'espace public – sont là pour la circulation, et «circulation» désigne ici ce qui a des roues. Normal. Sauf que si l'on refuse pour une fois de considérer comme «normal» le fait que l'espace public soit submergé de boîtes métalliques (en mouvement ou stationnées) ou l'obligation faite aux enfants de cesser de se comporter en enfants dans l'espace public, alors on s'étonne que cette normalité ne surprenne presque personne. L'histoire de la voiture est généralement vue comme le succès d'un engin si utile que tout le monde aimerait en posséder un. Cela n'est pourtant pas allé de soi. Au début du XXe siècle, voitures et automobilistes subissaient fréquemment des agressions. Des paysans déversaient du purin dans les tacots, encore ouverts comme des calèches. Des planches à clous arrêtaient net ces véhicules bruyants qui soulevaient tant de poussière. En 1908, le village de Mumpf a voulu se protéger derrière une barrière et les Grisons ont interdit les voitures jusqu'en 1925.