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14.06.2017 par Christoph Quarch

De la beauté de demeurer

Notre société accorde une grande importance à la mobilité, mais pourquoi ? L'immobilité ne vaut-elle pas mieux?

Article du thème Mobilité

Nous sommes sans cesse en mouvement, nous voyageons ici et là. Quelle durée de notre vie passons-nous en voiture ? Combien d'heures sur un siège de train ou d'avion ? Et quand nous ne sommes pas physiquement en mouvement, nous surfons sur l'internet et nous déplaçons dans des mondes virtuels. Pourquoi avons-nous tant de mal à rester en place? D'où vient cette incapacité à demeurer près de quelque chose... ou de quelqu'un? Qu'est-ce qui explique cette fébrilité ?
Un poème de Bertolt Brecht donne des fragments de réponse. Il s'intitule «Le changement de roue» et finit par ces lignes: «Je ne me sens pas bien là d'où je viens. / Je ne me sens pas bien là où je vais. / Pourquoi est- ce que j'observe le changement de roue / Avec impatience?» L'impatience, comme le suggère le poète, est à la base de l'agitation qui caractérise homo modernicus.
Or, l'impatience est un fruit amer de l'insatisfaction. Si l'on ne se sent pas bien là d'où on vient ni là où on va, on ne peut pas non plus se sentir bien dans l'ici et maintenant. Tout simplement parce que ce lancinant état de mécontentement ne nous quittera pas, même en voyage. Il nous retombera dessus, lors d'un changement de roue ou dans les bouchons. La véritable raison de notre mobilité est donc notre insatisfaction. Et pour ne pas la ressentir, nous tournons de plus en plus vite sur nous-mêmes, jusqu'à rendre le moyeu incandescent.

Pousser en hauteur

D'où vient cette insatisfaction? Qu'est-ce qui l'attise? Tout simplement notre soif de nouveauté, notre esprit de consommation. Pour nous sentir vivre, nous avons besoin du sentiment superficiellement agréable d'avoir atteint un objectif. Puis un autre. Nous passons ainsi continuellement d'une promesse de bonheur à la suivante, au point d'y sacrifier notre temps et notre énergie. A quoi ressemblerait l'immobilité? Cesser de fuir devant ce mécontentement bien déguisé? Nous pourrions nous familiariser avec ce qui est là; apprendre à le connaître et l'explorer. Nous pourrions pousser en hauteur, nous enraciner, exister, plutôt que de nous épuiser dans l'horizontalité. Nous pourrions explorer les profondeurs et y découvrir les trésors que la vie a enterrés à notre intention. Nous pourrions aussi regarder vers le ciel et renouer nos attaches avec cette dimension, la seule d'où afflue le sens de la vie. Nous pourrions établir une véritable relation avec les gens et les choses; prendre la mesure de leur valeur, mais pas en fonction de nos besoins.

S'enraciner, c'est être fidèle

Tout dans la vie est changement, aucun doute à ce sujet. Mais là où elle croît et mûrit, là où elle guérit et s'éveille aussi, un point d'ancrage est nécessaire. Il faut s'attacher à la terre et s'y enraciner. Ce qui est littéralement vrai pour le règne végétal l'est tout autant – métaphoriquement – pour les animaux ou les humains. Les oiseaux se construisent un nid, les rongeurs ont leur terrier, les ours cherchent une caverne. Et l'âme humaine a besoin d'un lieu qu'elle appelle foyer, un lieu où s'ancrer et s'enraciner ; un lieu où elle se sent reliée au tout; un lieu de fidélité.
La fidélité est la vertu du séjour. Elle n'a pas vraiment la cote dans notre monde rapide et mobile. Qui reste fidèle demeure près des choses et près des gens, même sans en tirer un quelconque profit, car la fidélité ne désire pas : elle aime. Elle ne craint pas de s'attacher et de s'engager. Elle puise sa force dans le grand réseau de la vie et persiste aussi dans l'obscurité et la douleur. Pour cette raison, justement, elle fait grandir les gens. Point de grandeur d'âme sans fidélité: ce n'est qu'en demeurant que l'on sera à même déployer ses dons.
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