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05.12.2018 par Mirella Wepf

Mission: reconstituer l’humus

L’agriculture favorise l’érosion des sols. Des dizaines de milliards de tonnes de terres fertiles sont perdues chaque année sur l’ensemble de la planète. Dans sa ferme d’Oberbrämen, à Menzingen (ZG), la famille Hegglin montre comment reformer la couche d’humus.


Article de la BAS
Article du thème Sol
Adolescent déjà, Martin Hegglin voulait devenir agriculteur. «Tu reprendras la ferme», avait décrété son père. Il était d’accord et cela s’est concrétisé à ses vingt ans. Pourtant, bien qu’il exerçait le métier de ses rêves, M. Hegglin n’était pas heureux. «Les premières années, quelque chose me manquait et je ne savais pas quoi», se souvient-il. Un cours organisé par son voisin Fredy Abächerli a marqué un tournant, en 1997. «Une petite femme autrichienne aux longues nattes se tenait devant une vingtaine d’agriculteurs sceptiques. Elle nous a fait découvrir l’art du compostage. Au bout de quelques jours, le déclic s’est fait: j’avais trouvé ma voie.»

Viser une agriculture respectueuse du climat

Depuis lors, Martin Hegglin a chamboulé presque toute la ferme et travaille avec une prodigieuse énergie, en poursuivant une mission. En vingt ans, il est parvenu à doubler la couche d’humus sur son exploitation. Mais cela ne lui suffit pas: il veut donner l’exemple, car selon lui, «le monde va au-devant d’énormes problèmes environnementaux!»

Une étude publiée fin 2017 par l’Université de Bâle montre que l’érosion des sols augmente partout dans le monde. Environ 35 milliards de tonnes de terres fertiles disparaissent chaque année. L’agriculture et l’exploitation de plus en plus intensive du sol en sont les principales causes. L’érosion libère des gaz à effet de serre et diminue la productivité des terres, menaçant l’alimentation de la population mondiale. Martin Hegglin invite à enfin renverser la vapeur, par exemple en cultivant les sols de manière durable. Il a su prouver, sur son domaine, que l’agriculture est également capable de constituer une couche d’humus. Avec des partenaires, il souhaite aussi montrer que l’on peut gérer une exploitation agricole en réduisant les émissions de gaz à effet de serre, et qu’une agriculture respectueuse du climat est possible.

Des entreprises s’associent pour du compost

Quand Martin Hegglin a commencé à produire du compost, il n’avait pas d’argent et a dû contracter un emprunt pour acheter sa première machine à retourner les andains. «J’ai dit à mon épouse: nous devons le faire maintenant, et tant pis si nous finissons sur la paille!» Yvonne Hegglin l’a accompagné dans ce pari, que le couple a gagné. Avec Fredy Abächerli et huit autres agriculteurs, M. Hegglin a fondé Verora AG, dont le nom signifie «valorisation de déchets organiques», en allemand. Les premières années, la clientèle réunissait surtout les communes proches, qui payaient pour éliminer leurs déchets verts. Il répandait le compost sur ses champs ou le vendait pour un prix raisonnable à des collègues.

L’essor des installations de biogaz a contraint Martin Hegglin à adopter un nouveau modèle économique. «Nous ne recevons presque plus de déchets verts des communes», constate-t-il. Il s’approvisionne aujourd’hui principalement auprès de paysagistes et, en produisant du compost de haute qualité, s’est constitué une nouvelle clientèle. «Nous fournissons par exemple des pépinières, des maraîchères et maraîchers ainsi que des jardinières amatrices et jardiniers amateurs.»

Combinaison parfaite avec l’élevage

Sur son domaine, Martin Hegglin transforme actuellement quatre cents tonnes de déchets verts par an, y compris d’énormes souches difficiles à déchiqueter. Il utilise une partie de ce matériau comme litière pour ses dix-huit vaches mères et la porcherie, avant de l’empiler avec le reste du compost et de le laisser se décomposer. Avec sa machine à retourner les andains, il veille à apporter toujours suffisamment d’oxygène pendant le processus.

Mélanger de la litière animale et du compost présente plusieurs avantages: les déjections et l’urine des animaux augmentent la teneur en nutriments du compost et, dans l’étable, la litière absorbe les odeurs. Le nouveau bâtiment d’exploitation construit par M. Hegglin (et cofinancé par un prêt de la BAS) pour élever des cochons dément l’expression «ça pue comme dans une porcherie»: l’odeur y est très agréable.

«Cela montre bien la différence entre pourriture et décomposition», observe Fredy Abächerli, voisin et associé de Martin Hegglin. Dans les étables de ce dernier, les microbes travaillent de manière optimale grâce à bon un apport d’air. Il en va autrement dans une fosse à purin ou un gros tas de fumier: l’oxygène y fait défaut, d’où une pourriture perceptible à l’odeur. Sans compter, comme l’ajoute M. Abächerli, que «ces pertes de nutriments gazeux (ammoniac, méthane, protoxyde d’azote) nuisent également au climat». Au lieu de grandes fosses à purin ou de gros tas de fumier, la famille Hegglin façonne donc des andains de compost longs d’environ cinq cents mètres.

Le charbon végétal, une panacée

Il est un élément que Martin Hegglin utilise volontiers dans son étable et sur son site de compostage: le charbon végétal. Depuis 2012, il le produit lui-même avec ses partenaires de Verora AG. L’installation – l’une des premières du genre en Suisse – se trouve sur la ferme de Franz Keiser, dans la commune de Neuheim, à moins de dix kilomètres de la ferme Hegglin. L’entreprise vend le charbon à des agricultrices et agriculteurs, à des pépinières ou encore à des particuliers.

Selon Fredy Abächerli, cette poudre noire est très polyvalente: utilisée comme complément alimentaire pour les animaux, elle prévient la diarrhée et favorise la digestion. Ajouté à la litière, le charbon réduit l’humidité, diminue les émissions de gaz et absorbe les nutriments. Après compostage, il se retrouve dans le champ, où il amende le sol. «Là, il libère lentement ses nutriments et améliore la structure de l’humus en accumulant l’humidité», explique M. Abächerli. L’agronome souligne que le charbon végétal a pour principal avantage de rester stable dans le sol pendant des siècles. «Voilà qui permet de ralentir les changements climatiques», car le procédé retire du CO2 de l’atmosphère. Rappelons que les arbres et les arbustes prélèvent du carbone dans l’air ambiant; si on les transforme en charbon, ce CO2 n’est pas totalement libéré dans l’environnement comme c’est le cas lors d’une combustion, mais demeure dans le charbon.

Ferme et savoir-faire transmis à la génération suivante

«Malheureusement, mes poches sont encore vides», plaisante Martin Hegglin. Il n’est pas devenu riche, car il n’a jamais cessé d’investir. Au moins a-t-il la conviction de suivre la bonne voie, même si elle est plutôt cahoteuse. «Yvonne et moi n’avons pas compté nos efforts. Nous avons atteint plus d’une fois nos limites physiques et psychiques.» A un certain moment, les agriculteurs de la région lui adressaient à peine la parole: ils avaient peur que les mauvaises herbes qui poussaient dans les champs de M. Hegglin après sa conversion à l’agriculture biologique se répandent dans leurs champs. «Heureusement, les choses se sont calmées», soupire l’intéressé. Il a pu démontrer, entre autres, que la croissance du redouté rumex s’autorégule avec le temps. La famille Hegglin fait souvent de très bonnes récoltes. Elle est particulièrement fière de ses magnifiques champs d’épeautre.

Bientôt cinquantenaire, M. Hegglin continuera de cultiver le domaine d’Oberbrämen pendant quelque temps, mais – tout comme son propre père – il a désigné très tôt son successeur parmi ses quatre enfants. Emanuel, son fils de seize ans, devrait reprendre la ferme. Les autres s’intéressent aussi à l’agriculture. «Je crains que nous ne puissions transmettre le domaine qu’à un seul d’entre eux», glisse Martin Hegglin. Il a toutefois la conviction que ses enfants ont appris tant de choses sur la bonne gestion des sols dans la ferme qu’ils sauront se débrouiller partout dans le monde. «De tels spécialistes seront de plus en plus recherchés!» Lui-même a longtemps dû nager à contre-courant, mais depuis quelques années, le compostage, la formation d’humus, l’agriculture favorable au climat ou le charbon végétal sont des sujets très tendance. Sa femme lui sourit et ajoute: «Nous ne léguons pas d’argent à nos enfants, mais d’immenses connaissances sur le compostage.»
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