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15.03.2023 par Stefan Boss

Le bois mort, élixir de vie

En forêt, les vieux arbres et les branches mortes sont nécessaires à la survie de nombreux coléoptères, champignons et pics. Promenade avec Thibault Lachat, écologue de la forêt, qui nous explique le pourquoi et le comment de la biodiversité dans ce milieu. 

Article du thème BOIS ET FORÊT
© Stiftung Wildnispark Zürich

Dans une forêt exploitée ordinaire sur une colline près de Zollikofen, dans le canton de Berne, des branches sont empilées sur plusieurs mètres de hauteur au bord du chemin, le sol est creusé par les pneus des véhicules lourds. Nous nous baladons avec Thibault Lachat, professeur en écologie forestière. Il forme les futur-e-s ingénieur-e-s forestiers-ères à la Haute école spécialisée bernoise, située juste en bas de la colline. Il nous emmène dans cette sylve riche en conifères, propriété de la bourgeoisie de Berne. Soudain, notre guide tend le doigt vers un tronc brisé à environ six mètres de sa base, dressé vers le ciel froid de l’hiver. On appelle cela une chandelle. « Il y a cinq ans, la propriétaire l’aurait prélevé pour utiliser le bois », lance-t-il. En nous approchant, nous découvrons un amadouvier, dont nos aïeux se servaient pour allumer le feu. La partie supérieure du hêtre gît à terre. Malgré l’exploitation régulière du bois en ces lieux, quelques arbres sont laissés sur place.

 

Voilà qui peut paraître paradoxal, mais le bois mort comme celui-ci est indispensable à la vie de nombreuses espèces animales et végétales, sans oublier les champignons. Par « bois mort », on entend les branches sèches, les souches ou les arbres tombés. « En forêt, une espèce sur trois dépend du bois mort », souligne M. Lachat. On parle là de plusieurs centaines de coléoptères, dont la superbe rosalie des Alpes. Ou encore le pic à dos blanc, sorte d’oiseau de forêt vierge qui se nourrit des coléoptères xylophages. Nous y reviendrons.

 

 

Des subventions fédérales pour les îlots de bois mort et arbres-habitats

 

En ce qui concerne cet habitat important, Thibault Lachat constate des progrès et voit les mentalités commencer à changer chez beaucoup de propriétaires de forêts : « La quantité de bois mort a quasiment doublé en Suisse, ces trente dernières années », relève-t-il. Sur le Plateau, cela représente à peu près quinze mètres cubes par hectare. Selon la plate-forme waldwissen.net, le volume peut atteindre 50 à 200 mètres cubes dans les forêts vierges d’Europe de l’Est. Il y en avait probablement autant chez nous, jadis, avant les nettoyages méticuleux de ces deux derniers siècles. On a besoin de tant de bois que, dans une forêt exploitée, rares sont les arbres qui parviennent à leur âge naturel. Un rapport du WWF indique que les hêtres peuvent vivre jusqu’à 350 ans et les chênes devenir millénaires. Or, la grande majorité est coupée bien avant.

 

La Confédération et les cantons souhaitent corriger le tir en promouvant le bois mort – donc la biodiversité – en forêt. Pour cela, la Berne fédérale aimerait protéger dix pour cent de la surface forestière suisse en tant que réserves : l’exploitation devra cesser dans la moitié, alors qu’elle pourra continuer de manière limitée dans l’autre. En outre, on conservera des îlots de sénescence ou du moins quelques vieux arbres (appelés « arbres-habitats ») dans les forêts de production. Les propriétaires touchent des indemnités pour ces mesures — un système comparable aux subventions dans l’agriculture, mais où les sommes distribuées sont bien inférieures. On peut ainsi recevoir 300 à 500 francs pour laisser un vieil arbre sur pied. Certes, ce n’est pas Byzance, comme le reconnaît M. Lachat, « mais pour peu que l’arbre soit un peu tordu, le bois pas très beau, pour une ou un propriétaire de forêt, ça va ».

 

 

Forêt de la Sihl et bois du Jorat : deux réserves forestières proches d’une ville

 

Le parc naturel périurbain du Sihlwald, à Zurich, est un bon exemple de réserve forestière. Thibault Lachat l’a étudié scientifiquement. Autrefois exploitée intensivement, cette forêt est pratiquement laissée à elle-même depuis le tournant du millénaire. Elle est répartie entre une zone de découverte de la nature, qui jouxte le quartier résidentiel et à laquelle on peut accéder librement, et une zone centrale. Dans celle-ci, interdiction de quitter les chemins et de cueillir plantes ou champignons. « La résistance contre le projet a été forte. Il est remarquable qu’on ait pu le réaliser malgré tout », observe M. Lachat. Cette hêtraie mixte d’une surface d’environ 1'100 hectares appartient à la ville de Zurich. De nombreuses sortes de champignons dépendant du bois mort ainsi que des espèces de coléoptères moins exigeantes sont revenues, comme l’a révélé l’étude de notre entomologiste.

 

On devra s’armer d’un peu plus de patience avant de rencontrer la rosalie des Alpes dans le parc du Sihlwald : on ne trouve ce majestueux coléoptère aux longues antennes – auquel un timbre-poste suisse a rendu hommage – que dans les Préalpes (en particulier le Prättigau, aux Grisons) et le Jura. Le problème est que la rosalie aime pondre ses œufs dans du bois de hêtre tout juste mort et que ses larves ont besoin de trois ans pour croître. La plupart de ces coléoptères finissent donc dans une cheminée avant d’avoir atteint leur maturité. Selon M. Lachat, le Sihlwald constitue désormais un habitat favorable à l’insecte. On pourrait même imaginer le revoir un jour dans la forêt de Zollikofen, que nous avons visitée au début, à condition d’y laisser suffisamment de vieux hêtres sur pied. Le pic à dos blanc n’est pas non plus réapparu dans la forêt de la Sihl. Il n’en reste que vingt à trente couples qui nichent à l’est de la Suisse, mais notre spécialiste part du principe que ce pic « arrivera un jour dans la forêt de la Sihl ».

 

Les bois du Jorat, qui appartiennent à la ville de Lausanne, sont également devenus un parc naturel périurbain reconnu par la Confédération. Sa superficie s’étend sur 930 hectares, qui n’étaient auparavant pas exploités aussi intensément que la forêt de la Sihl. Comme dans cette dernière, les bois du Jorat incluent une zone centrale intégralement protégée et une autre de transition.

 

Un nouveau statut de protection pour les forêts non exploitées ?

 

Malgré tous ces progrès, la biodiversité dans la forêt helvétique n’est globalement « pas encore aussi bonne que nous le voudrions », estime Thibault Lachat. Selon une liste rouge établie en 2016, 47 pour cent des 256 espèces examinées de coléoptères xylophages sont considérées comme menacées. Une partie de la nature est irrémédiablement perdue avec chaque espèce qui disparaît, ce qui, dans la chaîne alimentaire, se répercute sur d’autres. Le bois mort est également essentiel à la survie de mammifères tels que le loir ou – en plus du pic à dos blanc – d’oiseaux qui nichent dans des cavités.

 

Selon M. Lachat, l’objectif de dix pour cent de réserves forestières en Suisse ne suffira pas à préserver la biodiversité dans ce milieu. Un autre chiffre le rend plus optimiste : vingt pour cent de la surface totale des forêts suisses n’ont pas été exploitées au cours des cinquante dernières années. Celles-ci abritent donc davantage de bois mort. Il est toutefois possible qu’on se remette à les exploiter d’un jour à l’autre. « Peut-être devrait-on leur accorder un statut afin de les protéger aussi, même sans les transformer directement en réserves, car elles sont écologiquement très précieuses. »

 

 

Effets indirects des changements climatiques

 

Comment les changements climatiques perturbent-ils la biodiversité en forêt ? M. Lachat estime que, pour de nombreux animaux et plantes dépendant du bois mort, la hausse des températures pourrait en fait avoir un effet positif. Mais, car il y a un « mais », la sylviculture plante de plus en plus d’arbres « adaptés au climat ». Ainsi, on préfère les pins douglas originaires des États-Unis aux épicéas. Nous avons d’ailleurs vu quelques-uns de ces conifères à tronc rouge dans la forêt au-dessus de Zollikofen. Sur une vieille souche judicieusement laissée sur place, l’écologue a arraché un morceau d’écorce, révélant quelques trous de coléoptères xylophages. « Les douglas peuvent abriter moins d’espèces que les épicéas, alors nous réduisons la biodiversité en forêt. »

fbsr.ch 
(en allemand)
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