« Si et comment mon activisme me rend heureux ? Je crois que je ne me suis jamais vraiment posé la question. Je le fais, simplement. Je suis heureux en tant qu’activiste, lorsque je visite des projets incroyables, que je rencontre des militant-es inspirant-es, que je participe à des réunions ou des ateliers où j’ai l’impression que les idées que j’apporte touchent les personnes présentes, ouvrant de nouveaux possibles et des perspectives enthousiasmantes.
Il m’est arrivé de vivre des conférences où les participant-es, trop excité-es pour rentrer à la maison, restent dehors pendant des heures à discuter et créer des liens. Des élu-es me disent que mes livres ont transformé leur approche et leur pratique au niveau de leur commune. J’ai aussi la chance de vivre de grandes fêtes, organisées par des groupes de transition ravis de ma visite, où nous buvons de la bière artisanale locale et faisons de la musique ensemble. Il y a également toutes ces petites victoires, quand un projet avance dans la bonne direction et qu’un sentiment d’exaltation et de fierté nous porte, collectivement et individuellement, donnant un sens à notre action. Ces moments sont nombreux et ils me rendent très heureux.
Il existe, bien sûr, des côtés beaucoup plus difficiles. Quand les trains ont du retard, quand je suis épuisé, quand tout devient trop lourd. Ou lorsque les projets dans lesquels je suis impliqué dans ma ville, que j’adore, nécessitent beaucoup de réunions, de détermination, de courriels très formels et de patience. Plus que toute autre chose, une puissante obstination me porte dans ces moments-là.
Parfois, le fait que j’assume publiquement un nouveau narratif fait d’imagination, de collaboration – voire de renversement des valeurs – ouvre la porte à des abus et attaques de la part de personnes qui ne comprennent pas l’objectif du projet ou ont un intérêt direct à le voir échouer. Les médias sociaux rendent cette agressivité beaucoup plus facile et plus toxique que lorsqu’il fallait se rencontrer pour communiquer et débattre. Alors ce travail me rend-il heureux ? Pas vraiment. Je ne peux traverser ces périodes que grâce au soutien de celles et ceux qui m’entourent, à la solidarité et à la culture de travail coopératif que nous avons créées ensemble. Ainsi qu’à notre volonté de demander « ça va ? » et de chercher l’appui dont nous avons besoin, convaincu-es de la justesse de ce que nous faisons.
Serais-je plus heureux si je ne faisais pas ce travail d’activiste, si j’étais béat d’ignorance et inconscient de ce qui se passe ? Je ne le pense pas. Aldo Leopold, un des premiers écologistes, a écrit en 1949 que « l’une des pénalités d’une éducation écologique est que l’on vit dans un monde de blessures... Un écologiste peut soit endurcir sa carapace et faire croire que les conséquences de la science ne le regardent pas, soit être le médecin discernant les empreintes de la mort dans une communauté qui s’imagine en bonne santé et ne veut pas qu’on lui dise le contraire.
Je n’ai pas l’intention de « durcir ma carapace » de cette manière. Une fois vue et vraiment intériorisée, ce que Martin Luther King appelait « l’urgence féroce du moment », l’urgence climatique et écologique, le fossé grandissant de l’inégalité sociale, la riposte du patriarcat, de la suprématie blanche et du colonialisme, il est impossible de ne plus la voir. C’est comme si, endormi dans votre maison avec vos enfants dans la pièce voisine, vous vous réveilliez et sentiez de la fumée. Vous seriez tout simplement incapable de vous retourner et de vous rendormir. Essayer de me divertir et de remplir mes heures avec des tâches et activités sans intérêt me coûterait énormément plus d’énergie et serait plus épuisant sur le plan psychologique que faire ce que je peux pour contribuer. Bien sûr, chacun de nous manifeste ce sentiment d’action déterminée de différentes manières. Par exemple, je fais de la transition, ma femme se fait arrêter avec Extinction Rebellion, certaines personnes vont en prison pour Just Stop Oil, d’autres plantent des arbres. Chacun-e trouve sa voie.