Combien d’arbres peuplent notre planète ? Certain-e-s scientifiques hésitent à répondre à ce genre de questions, leur reprochant un manque de précision. Pas Tom Crowther. Ce jeune professeur EPF qui aime voir grand s’y connaît assez en données et en modélisation pour réaliser de telles estimations. Le monde compterait donc trois billions (ou trois millions de millions) d’arbres, chiffre que M. Crowther a pu publier en 2015 dans la prestigieuse revue scientifique « Nature ». L’article l’a rendu célèbre en tant qu’écologiste systémique.
Reboiser une surface grande comme la Chine ?
Quatre ans plus tard, Crowther en a remis une couche : quelle serait l’envergure d’une campagne mondiale de reforestation destinée à lutter contre les changements climatiques ? Dans un impressionnant document de recherche, il a calculé qu’un billion (mille milliards) d’arbres supplémentaires permettraient de retirer de l’atmosphère les deux tiers de toutes les émissions de CO2 d’origine humaine. Le communiqué de presse de l’EPFZ intitulé « Comment les arbres pourraient sauver le climat » ne précisait alors pas que la surface à reboiser devrait avoir à peu près la taille de la Chine. Le document de recherche a fait des vagues et suscité beaucoup de critiques chez les climatologues : trop simpliste, la proposition passerait largement outre les réalités de la politique environnementale. L’ETH a corrigé le tir et son communiqué de presse s’intitule désormais « Comment les arbres pourraient contribuer à sauver le climat ». M. Crowther a, lui aussi, publié une mise au point et fait une déclaration au « Guardian » : « Je n’ai jamais dit que nous devrions planter un billion d’arbres. »
Depuis lors, d’autres personnes se sont emparées de la proposition, comme le célèbre climatologue et théoricien des systèmes Hans Joachim Schellnhuber. À l’origine du Bauhaus Erde (« Bauhaus de la Terre »), embryon d’un mouvement mondial pour la transformation durable de l’environnement construit, il aimerait que les bâtiments deviennent des puits de carbone. Le bois de construction stocke en effet le CO2 retiré de l’atmosphère par les arbres. M. Schellnhuber associe la transition à une intensification de l’exploitation des surfaces forestières existantes. Afin de couvrir les besoins en bois, il suggère également de réaliser des plantations, principalement de bambous à croissance rapide dans les régions tropicales et subtropicales.
Les doutes de l’expert forestier
La sphère politique aime ce genre d’idées, car elles promettent une solution technique au délicat problème socio-économique du « réchauffement climatique ». Hans Joachim Schellnhuber est formel : « Sans un changement radical dans la construction, basé sur une économie circulaire biosourcée, l’accord de Paris sur le climat échouera. » Un radicalisme qui peut déplaire : le climatologue a récemment débattu avec Pierre Ibisch, expert forestier, dans l’édition allemande du magazine « GEO ». M. Ibisch lui a objecté que la forêt est déjà surexploitée et se trouve dans un état critique (à cause des exigences économiques ainsi que d’étés toujours plus chauds et secs). Lui imposer des tâches supplémentaires serait donc une erreur fondamentale. Si les idées de M. Schellnhuber devaient se concrétiser, on courrait un grand risque de voir la pression économique s’intensifier sur les forêts existantes. « Pour augmenter fortement l’utilisation de bois de construction, protéger les forêts contre une déforestation non durable [...] est d’une importance cruciale. Mais notre vision d’une exploitation et d’une réglementation durables pourrait en fait améliorer la situation des forêts dans le monde, car on leur attribuerait alors davantage de valeur », a souligné Christopher Reyer, coauteur du communiqué portant sur la publication.
À dire vrai, un « changement de valeurs » en faveur des forêts semble déjà amorcé, non pas sous la forme d’une politique climatique venue d’en haut, mais de programmes de reforestation initiés par la base. On peut citer la campagne mondiale Trillion Tree Campaign, le moteur de recherche Ecosia, le Green Belt Movement au Kenya, ou encore l’initiative éducative allemande Plant for the Planet. Si les choses sont complexes quand il s’agit de la forêt dans son ensemble, une certitude demeure : planter un arbre n’est jamais mauvais pour le climat.