Il parle d’un choc considérable lorsque le téléphone a sonné, le mercredi 4 octobre de l’an dernier: «J’essayais de vivre ma retraite de manière harmonieuse et me voilà tout à coup propulsé aux yeux du monde comme le scientifique ayant découvert l’eau froide.» Le prix Nobel de chimie venait en effet d’être attribué à Jacques Dubochet et à ses collègues Joachim Frank (Etats-Unis) et Richard Henderson (Grande-Bretagne) pour leurs travaux sur la cryo-microscopie électronique de spécimens vitrifiés. Mais que vient faire ici l’eau froide?
Il faut remonter dans les années quatre-vingt, lorsque Jacques Dubochet est engagé au Laboratoire Européen de Biologie Moléculaire à Heidelberg. Grossièrement résumé, la colonne d’un microscope électronique doit rester sous vide, afin de permettre aux électrons de pénétrer dans les structures de la cellule et d’en obtenir une image. Et sous vide, l’eau s’évapore. Ainsi, pendant plus de cinquante ans, la microscopie électronique n’a travaillé qu’avec des spécimens desséchés. «Mon projet de recherche visait à conserver les spécimens dans leur état natif en les gardant à une température si basse que l’eau ne s’évapore pas. C’est la cryo-microscopie électronique. Mais l’eau gèle à ces températures. Et la glace est aussi néfaste que le dessèchement», résume Jacques Dubochet.
Comment alors travailler avec l’eau? C’est là qu’intervient la vitrification. Jacques Dubochet se souvient du moment où, un jour de 1980, son collègue Alasdair McDowall et lui-même observent dans leur cryo-microscope, une goutte qu’ils sont en train de réchauffer lentement. A −135°C celle-ci se transforme soudain en cristaux de glace cubique: c’était de l’eau vitrifiée. «La vitrification de l’eau était censée être impossible! Imaginez-vous ce que nous avons ressenti à ce moment-là?»